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Recherche et Restauration : La Nef des Fous

Des analyses qui confirment et précisent l’étendue des repeints

Publié le 01/12/2015

Entré en 1918 dans les collections du musée du Louvre, le panneau de la Nef des fous de Jérôme Bosch a fait l’objet d’une analyse très complète au département Recherche du C2RMF, analyse qui a permis de guider les choix de restauration. Réalisée par Agnès Malpel, la restauration s’est déroulée dans les ateliers de peinture du département Restauration du C2RMF sous l’égide d’une commission internationale de restauration.

Cette peinture sur bois de petites dimensions (58x32.5 cm), qui a été sciée à la fois dans son épaisseur et dans sa partie inférieure, faisait partie d’un triptyque dont plusieurs autres éléments sont identifiés. Elle en constituait le volet gauche et était complétée en partie basse par un fragment, la Gloutonnerie, aujourd’hui conservé à la Yale University Art Gallery de New Haven. Deux autres œuvres sont associées à ce panneau : le Vagabond (Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam) et la Mort de l’Avare (National Gallery, Washington). L’historique du panneau est inconnu avant son entrée au musée. Le musée du Louvre conserve aussi une version dessinée de ce panneau.

La Nef des fous, pour laquelle d’importants repeints étaient supposés, a fait l’objet de nombreuses analyses au C2RMF : une campagne d’imagerie scientifique, des points d’analyse par fluorescence X, une cartographie par fluorescence X 2D et des coupes stratigraphiques sur deux micro-prélèvements.
 

Le dessin sous-jacent révélé par la réflectographie infrarouge

L’imagerie scientifique a permis d’élaborer de nombreuses hypothèses qui ont été confirmées par les autres analyses. La réflectographie infrarouge (ci-contre) a mis en évidence avec netteté l’existence d’un dessin sous-jacent, distinguable par endroits à l’œil nu.

Ce dessin pourrait avoir été réalisé en deux temps avec deux techniques différentes :

  • un premier passage à l’aide d’une pointe métallique (?),
  • un second avec un médium peut-être liquide fixant la composition définitive.

Cette identification permet de mettre en lumière les modifications qui ont été opérées entre le dessin préparatoire et la composition finale. Le volume des feuilles de l'arbre est bien moins important dans le dessin sous-jacent que dans la composition finale. Par ailleurs, la ligne d’horizon, peu claire, aurait pu être agrémentée de bâtiments, ce que la radiographie semble confirmer.

Observons encore le bouffon :

  • il paraît bossu : le contour sinueux de son dos est sans doute dû à la suppression d’un manteau aujourd’hui invisible mais présent sur le dessin sous-jacent ;
  • son bras paraît passer du côté interne de la cuisse sur le dessin sous-jacent, tandis qu’il est entouré d’une manche particulièrement ample sur la composition finale.
Image en réflectographie infrarouge numérique ©C2RMF/ Bellec Jean-Louis
Image en réflectographie infrarouge numérique

La couche picturale

La palette a été révélée par l’étude en fluorescence X et l'observation binoculaire. Assez limitée, elle se compose de bleus et de verts obtenus par des pigments au cuivre, de jaune de plomb et d’étain, d’ocres, de vermillon, de laque rouge et de noirs de combustion. Quelques éléments anachroniques laissent penser à la présence de pigments modernes.

Le chromatisme de l’œuvre a été volontairement altéré sur toute la surface par l’ajout d’une couche chargée en pigments d’aspect brun-noir plus ou moins appuyé selon les zones. Il pourrait s’agir d’une sorte de jus voulant imiter une patine plus ancienne et unifiant ainsi l’aspect du panneau.

Cette patine est responsable par exemple de la quasi-disparition du gobelet en étain posé sur la tête du chanteur qui lève son bras gauche (cf. ci-contre), ainsi que des détails coupés lors du démembrement du panneau, et appartenant à la composition inférieure conservée à Yale.
 

Une convergence d'indices en faveur de repeints étendus

L’imagerie en lumière rasante ainsi que les coupes stratigraphiques et la cartographie élémentaire (réalisée par la fluorescence X 2D) ont révélé des traces de repeints manifestes 

Détail avant intervention ©C2RMF/ Clot Thomas
Détail avant intervention
  • Le feuillage du mât apparaît nettement moins volumineux dans le dessin sous-jacent : toute la partie centrale autour de la chouette est cohérente par rapport aux autres feuillages présents dans le bas du tableau. Les feuilles brun-vert périphériques sont de facture très différente et comportent un réseau de craquelures prématurées qui leur est propre, révélé par la photographie en lumière rasante (cf.ci-contre). Ces craquelures ont très vraisemblablement été causées par une peinture appliquée avec un liant qui pourrait contenir une substance (généralement en plomb) en accélérant artifiiellement le séchage et présent en quantité excessive. Ce cliché met en évidence la différence de surface entre les parties qui semblent originales et celles qui semblent repeintes.
  • La coupe stratigraphique réalisée sur un micro-prélèvement des feuilles dans la partie supérieure de l’arbre confirme la présence de repeints. Au-dessus des couches originales composées d’une préparation blanche à base de carbonate de calcium, d’une fine couche d’impression au blanc de plomb, d’une couche bleue à base d’azurite pour le ciel, ont été appliquées deux ou trois couches brunes riches en liant recouvertes de plusieurs couches de vernis.
  • La zone d’horizon paraît visible quoiqu’imprécise. Des traces de bâtiments à l’emplacement de la montagne s’avançant dans la mer dans l’arrière-plan sur la droite du panneau ont pu être supposées par l’étude combinée de la réflectographie infrarouge et de la radiographie. La cartographie du cuivre par fluorescence X 2D a mis en évidence sous la montagne la ligne d’horizon lointaine animée de bâtiments divers peints dans des tons bleus ou verts. Une deuxième coupe stratigraphique a été réalisée à partir d’un prélèvement effectué sur la bordure droite au niveau de cette montagne semblant repeinte.

La nature des éléments ne laisse plus aucun doute : au-dessus des couches originales formant la partie inférieure du ciel, se trouvent des couches brunes contenant des pigments anachroniques. Les couche supérieures contiennent des grains de sulfate de baryum, du chrome et de l’arsenic, signes d’emploi de pigments nettement postérieurs à l’époque de l’élaboration de l’œuvre.

Les cartographies par fluorescence X 2D, qui visualisent la répartition des éléments chimiques sur l’ensemble de l’oeuvre, ont confirmé l’ensemble de ces observations et analyses et ont permis de visualiser l’étendue des repeints grâce aux cartes du baryum, du chrome et du manganèse. D’autres éléments (étain, cuivre, plomb) ont apporté des précisions sur les étapes de réalisation de l’œuvre et sur ses contours.

La radiographie (n°1) laissait deviner des bâtiments sur la ligne d'horizon. Les cartes de répartition du cuivre (n°2) et du plomb (n°3) ont confirmé cette hypothèse.

Les méthodes d’examen et les analyses mises en œuvre au C2RMF, sur le panneau de La Nef des Fous ont confirmé les diverses modifications et altérations de l’œuvre avant son entrée dans les collections publiques.
Les matériaux analysés sont conformes à ce qu’on connaît des techniques du temps, et les pigments anachroniques, lorsqu’ils existent, affectent des zones de repeints. Trois sortes de repeints sont discernables :

  • les accidents ponctuels,
  • les repeints qui masquent les traces de la partition du panneau en plusieurs fragments,
  • un repeint de goût important en vue d’agrandir l’arbre-mât central pour le faire ressembler à un vrai arbre et qui a aussi modifié substantiellement la ligne d’horizon.

La restauration

L’intervention décidée sur la Nef des fous de Bosch a été rendue nécessaire par un aspect esthétique insatisfaisant, et non par un problème de conservation.
En effet, le panneau est dans un état correct et, bien que très aminci, le bois du support paraît stable depuis les mesures faites dans les années 1960 : il est collé sur un contreplaqué lui-même muni d’un parquetage, aux traverses duquel on a simplement rendu leur mobilité, et le subjectile demeure parfaitement plan.

La technique du peintre explique en grande partie la nature et l’étendue des altérations. Les figures, le navire et le mât, plus empâtés et plus nourris de blanc de plomb, sont bien conservés, tandis que le ciel et les eaux sont très usés à la suite de nettoyages anciens drastiques. Les fines et transparentes couches de peinture, rapidement posées sur une double préparation carbonate de calcium/blanc de plomb, y ont été significativement abrasées et elles laissent transparaître dans ces zones une sous-couche à nue, devenue beigeâtre et tachée par la pénétration de l’huile oxydée.

C'est sans doute à la fin du 19e siècle, lorsque le tableau se trouvait dans le commerce, que la composition a été repeinte et jutée, pour masquer cette situation et donner au panneau une apparence d’œuvre autonome.

Ce repeint était devenu très opaque, d’une couleur brun-jaune, et trahissait l’invention de Bosch, ayant élargi le bouquet de feuillage au fait du mât et alourdi l’horizon d’une colline brune, sans rapport avec les lointains lumineux habituels de l’artiste. La couche opaque engluait aussi la craquelure originale, qu’elle recouvrait complètement à de nombreux endroits, et noyait les coloris très frais du peintre dans un jus jaune dénaturant tons et contrastes.

Le dégagement complet des repeints a été décidé suite aux analyses poussées du laboratoire et après de nombreux tests préalables réalisés sous microscope, validés par les différentes commissions qui se sont réunies devant l’œuvre. Ceux-ci ont révélé des fonds usés mais aussi confirmé l’étendue des repeints abusifs qui masquaient, par exemple, les restes à peine perceptibles d’une cité se dressant à l’horizon, et surtout de petits détails dans la partie basse – une branche, l’embout d’un entonnoir – prolongements d’éléments de la partie supérieure du fragment de Yale.

À la fin du nettoyage, la matière, très usée par endroits, ailleurs parfaitement conservée, présentait peu de lacunes profondes franches. Celles-ci ont reçu naturellement un petit mastic avant retouche. Isolée de la peinture originale par un vernis mastic, la réintégration a donc essentiellement consisté en la pose de glacis légers pour « remonter » le ciel et les eaux, afin de leur redonner une homogénéité perdue, tout en ne masquant pas leur état d’usure. Il importait notamment de ne pas faire disparaître l’important réseau de craquelures d’âge, tout en mettant en valeur la matière originale du maître. Des zones devenues évanescentes – la ville à l’horizon, la bannière rose flottant au vent – ont reçu de légers points de couleurs transparents destinés à en préciser les contours, sans trop les marquer.

La composition s’apprécie de nouveau dans sa lumière claire et froide, d’une richesse de tons insoupçonnée, mariant les teintes denses des violets, des rouges ou des blancs aux reflets verts translucides des vaguelettes à peine suggérées.

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