Détail de l’œil gauche de l’Aurige ©C2RMF/P.Salinson
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Étude d'oeuvre : L’aurige de Delphes

Nouvelles perspectives sur les grands bronzes grecs

Publié le 20/12/2022

Aurige dit "Aurige de Delphes", h. 180 cm, vers 470- 466 av. J.‐C (musée archéologique de Delphes, inv. 3484/ 3520/ 3540) ©C2RMF/ P.Salinson
Aurige dit "Aurige de Delphes", h. 180 cm, vers 470- 466 av. J.‐C (musée archéologique de Delphes, inv. 3484/ 3520/ 3540)

Du 1er au 4 décembre 2022, un colloque s’est déroulé sur "L’Aurige de Delphes et la grande statuaire grecque en bronze : nouvelles perspectives à l’époque dite du style sévère."

L’École française d’Athènes, l’Éphorie des Antiquités de Phocide et l’Établissement public du musée du Louvre, ont signé en 2016 une convention ayant pour objet de définir un partenariat dans le cadre duquel ils se sont engagés à développer et à renforcer leur collaboration scientifique. Cette coopération en matière de recherche sur les antiquités grecques a conduit le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France et d’autres institutions, à entreprendre un ambitieux programme de réexamen de l’Aurige de Delphes, fondé sur l’apport de nouvelles technologies. Il s’agissait d’aborder avec un œil nouveau la question de l’élaboration des grands bronzes grecs depuis les dernières décennies du VIe siècle jusqu’au IVe siècle av. J.-C., en insistant tout particulièrement, grâce à l’étude de l’Aurige, sur l’époque dite du style sévère.

Le musée du Louvre et le C2RMF ont ainsi effectué des missions en mai 2017, novembre 2019, février 2020 et novembre 2021 pour réaliser une étude scientifique complète de l’Aurige au sein du musée de Delphes.  Au total, plus de 800 kg de matériel d’examen et d’analyse du C2RMF et de l’Institut de soudure ont été acheminés à Delphes pour étudier le groupe statuaire (l’Aurige et les fragments du quadrige). Un des objectifs principaux était de radiographier la statue, haute de 1m80, afin d’en repérer notamment les soudures. Le C2RMF et l’Institut de soudure ont ici réuni des compétences uniques en termes de radiographie de grande sculpture et d’inspection sur site pour réaliser ce travail. Les parois de bronze étant relativement épaisses, les rayons X classiques ne suffisaient pas et il a fallu utiliser des rayons gamma, ce qui a impliqué l’utilisation d’une source d’iridium radioactif et la mise en place d’un périmètre de sécurité.

De nombreuses autres analyses ont été réalisées par le C2RMF, en particulier l’analyse élémentaire par ICP-MS-MS des différentes pièces de bronze coulées pour former le groupe statuaire (éléments d’alliage, traces et ultratraces), l’étude pétrographique des noyaux d’argile liés au procédé de coulée, et la caractérisation par cartographie MA-XRF des matériaux constitutifs du visage (bandeau, yeux, cils, sourcils, lèvres, dents). Aujourd’hui toutes ces analyses ont livré leurs résultats.
 

Les analyses et examens ont ainsi permis de mieux comprendre la technique d’élaboration du groupe statuaire, notamment en ce qui concerne la fonderie et l’assemblage.  On sait désormais que l’aurige est composé d’une quinzaine de grandes pièces coulées séparément, mais avec le même bronze contenant 10% d’étain.

Les analyses ont montré que les pièces de la statue ont été réalisées, pour la plupart, selon un procédé indirect de fonte en creux à la cire perdue, mais que quelques détails (les oreilles, les doigts, les mèches devant les oreilles et le nœud du bandeau) ont été fabriqués selon un procédé direct de fonte pleine à la cire perdue et d’assemblage par coulée secondaire.  

A l’échelle de l’ensemble du groupe statuaire, il est aussi démontré que le procédé employé pour la réalisation des soudures était véritablement virtuose. Par exemple, pour le soudage de la tête sur le cou, du bronze liquide de même composition que les deux pièces à joindre a été coulé dans un canal ponctué de larges cuvettes. Les bords des deux pièces (c’est-à-dire les rives du canal) ont fondu superficiellement de façon à créer une soudure par fusion absolument parfaite. La radiographie révèle l’emploi de cette technique très élaborée de soudage en de nombreux autres endroits totalement insoupçonnés avant l’étude : poignet droit, vêtement (composé en au moins six pièces), bras, pieds, jambes et queue des chevaux, etc.
 

Le bras d’enfant trouvé près de l’Aurige ©C2RMF/ P.Salinson
Le bras d’enfant trouvé près de l’Aurige

Sur le bras de l’enfant trouvé dans la même zone que l’Aurige, les examens ont montré des techniques de fonte et d’assemblage comparables à celles de l’Aurige, mais un métal et un noyau de terre très différents.

Les nombreuses méthodes non invasives déployées (cartographie de fluorescence X, spectrométrie Raman, diffraction X) ont permis de caractériser la polychromie du groupe statuaire et de répondre aux questions concernant les incrustations métalliques et les pierres utilisées. A l’origine, l’apparence de la statue était différente de ce qu’elle est aujourd’hui : la tête, la tunique, les bras et les jambes de l’Aurige avaient l’aspect très doré, poli, et non oxydé du bronze à 10 % d’étain, tandis que les rênes et la ceinture avaient une couleur rougeâtre (bronze à 5 % d’étain). Les cils et les sourcils ainsi que les lèvres, uniquement faits en cuivre non allié, étaient roses. Les quatre incisives visibles dans la bouche entrouverte sont en argent. Enfin, le bandeau en bronze était orné de méandres et de croix incrustés d’étain de couleur gris mat, et de deux filets en cuivre non allié rose.

Les yeux de l’Aurige ont été analysés par cette combinaison unique de techniques portables. Les résultats montrent qu’ils sont fabriqués selon des techniques de marqueterie de pierres dures : le blanc de l’œil est fait en magnésite, une pierre très blanche ; le contour de l’iris en une pierre de la famille des basaltes ; l’iris brun rouge en calcédoine et le noir de la pupille en obsidienne. Les caroncules lacrymales, sont quant à elles constituées de fragments de corail rose.

Enfin, l’étude de la provenance des matériaux a livré des résultats étonnants. Pour ce qui concerne le cuivre, la composition en éléments en traces a été déterminée grâce au nouvel équipement ATRAMAP récemment installé au C2RMF (lien). Les résultats de cette analyse, combinés à l’analyse isotopique du plomb effectuée par le laboratoire de géologie de l’ENS de Lyon, montrent que le cuivre provient des Cyclades, et plus précisément de Siphnos. Ce district minier antique était déjà bien connu, mais plutôt pour la production de plomb et d’argent. 

La provenance du noyau de terre est encore plus intéressante, puisqu’elle permet de proposer une hypothèse de localisation de l’atelier. Il est en premier lieu clairement établi que l’Aurige n’a pas été élaboré à Delphes, où le sol est calcaire. Dans le noyau de la statue, il y a des inclusions de roches granitiques très particulières, à deux micas, mélangées à des fragments de roche sédimentaire contenant des fossiles du plio-pléistocène.

Dans l’état actuel des connaissances, ce mélange n’existe nulle part en Grèce propre. En revanche, on le trouve en Italie du Sud, région colonisée par les Grecs au VIIee siècle av. J-C au point d’être appelée la Grande-Grèce. Plus précisément, l’atelier pourrait se situer en Calabre, entre Sybaris et Crotone. Cette hypothèse est très importante, étant donné que parmi les auteurs possibles de l’Aurige, le nom de Pythagoras de Rhégion est évoqué. Cet artiste considéré comme meilleur que Myron d’après une source littéraire antique a conçu de nombreuses statues dont aucune n’est parvenue jusqu’à nous.
 

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