Le Premier Consul décernant un sabre d’honneur après la bataille de Marengo, après restauration
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Le Premier Consul - étude et restauration

 Le Premier Consul décernant un sabre d’honneur après la bataille de Marengo, le processus créatif d'Antoine-Jean Gros dévoilé par l’étude et la restauration.

Publié le 27/03/2024

Introduction

Le Premier Consul décernant un sabre d’honneur après la bataille de Marengo représente une célèbre victoire du général Bonaparte, alors Premier consul, contre les armées autrichiennes à Marengo dans le Piémont en 1800. Présenté au Salon de 1802, il est aujourd’hui exposé au Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau (dépôt du musée du Louvre).

Cette œuvre majeure d’Antoine-Jean Gros a rejoint les ateliers du C2RMF (site de Versailles) en 2021 pour y être restaurée. Ce travail avait pour objectif d’améliorer son état de conservation et de présentation. La restauration a offert par ailleurs l’opportunité de faire d’importantes découvertes sur sa création en s’appuyant sur des recherches en histoire de l’art, l’imagerie et une analyse approfondie de la matière. En effet, ce tableau présente de nombreuses modifications (appelées repentirs) témoignant des hésitations et changements au cours de son exécution. Le C2RMF vous invite à découvrir le fruit de ses découvertes à travers cet article. 

La restauration : révéler les talents de coloriste d’Antoine-Jean Gros 

Avant sa restauration, le tableau était dans un état de présentation et de conservation peu satisfaisant. La présence de lourds mastics ayant servi à consolider des déchirures, de plusieurs couches de repeints et de vernis ainsi que de nombreuses déformations du support en avaient amoindri les qualités esthétiques.
 

De fait, les retouches de restauration altérées et les vernis jaunis empêchaient d’apprécier les talents de coloriste loués à son époque par les critiques du Salon : « Ce nouvel ouvrage du cit.[oyen] Gros a beaucoup de mérite. Le plus remarquable comme le plus recommandable sans doute, est celui de la couleur. Peu de Peintres sont coloristes : c’est un don que la nature accorde rarement, et elle l’a prodigué au cit.[oyen] Gros ».

Les restaurateurs ont donc procédé au nettoyage des repeints et vernis altérés. Cette opération a révélé une matière originale de belle facture, avec un jeu d’empâtements et de frottis. La reprise du rentoilage, qui consiste à retirer la toile de rentoilage collée au revers de la toile originale et à la remplacer par une nouvelle, a permis de retrouver la planéité de l’œuvre et d’assurer sa bonne conservation dans le temps. Enfin, un long travail de réintégration a eu lieu pour calmer les usures de la peinture et combler les manques.

En cours de démontage du rentoilage ancien - © C2RMF / Dominique Vandecasteele
En cours de démontage du rentoilage ancien

Comprendre le processus créatif du tableau : une enquête d’histoire de l’art 

Le mystère du sabre non décerné

Cette peinture à l’huile de grand format (306 cm de hauteur sur 240 cm de longueur) est un portrait équestre de Napoléon Bonaparte faisant face à deux grenadiers à pied. L’un arbore un sabre d’honneur que vient de lui remettre le Premier Consul tandis que le second tient les drapeaux pris au Saint-Empire.

À l’arrière-plan, plusieurs bataillons défilent après la victoire de l’armée française. 

Ce tableau a été présenté au Salon de 1802 (n° 970) comme Portrait du premier Consul décernant un sabre d’honneur. Cependant, ce titre interroge : en effet, Napoléon Bonaparte ne tend aucun sabre. Ce dernier est déjà dans les mains du grenadier. 

Une véritable enquête qui a pris appui sur l’imagerie, l’observation de la matière, de nombreuses recherches et un dialogue fructueux entre les différents acteurs de la restauration ont permis de comprendre ce titre. 

Faire parler la matière 

Avant sa restauration, le tableau a été photographié sous différents rayonnements lumineux : lumière directe et rasante, ultraviolet et infrarouge. Ces derniers ont permis de mettre en évidence de nombreux repentirs. Certains étaient déjà perceptibles à l’œil nu à l’instar de la crosse de baïonnette devant le pied du premier grenadier. Elle est presque achevée, preuve que le peintre avait largement avancé dans une composition initiale avant de changer de parti. La baïonnette est alors recouverte par Gros qui réalise à sa place un sabre tenu par le grenadier.
 

D’autres repentirs, invisibles à l’œil nu, ont également été mis en évidence par l’observation de la matière. En effet, des craquelures différentes étaient visibles sur la composition. Certaines étaient des craquelures assez ouvertes dites aussi craquelures prématurées. Elles sont dues à un défaut de séchage de la peinture appliquée par l’artiste. Elles se concentraient notamment sur le costume et révélaient des couleurs différentes de la composition finale. L’uniforme de Bonaparte a ainsi été largement modifié. Le bras gauche semblait par ailleurs avoir été d’abord été mis en place tendu tenant un sabre avant d’être changé de position. Cette hypothèse a pu être vérifiée grâce à une réflectographie infrarouge et par observation du tableau sous fort grossissement (Dinolite®). 

Réflectographie infrarouge avec relevé des repentirs par Oriane Lavit - © C2RMF / Philippe Salinson
Réflectographie infrarouge avec relevé des repentirs par Oriane Lavit

Les changements iconographiques 

Les données observées à l’imagerie scientifique et sur le tableau ont été confrontées aux résultats de recherches dans les archives et les descriptions anciennes de l’œuvre. Ainsi, en 1801, Gros présente au Salon (n° 353) un modèle peint (ou modello) préparant le tableau qui est exposé en 1802. Il est décrit dans un article du Moniteur universel : « Le même artiste [Gros] a exposé un autre portrait de Bonaparte. Là, dans le costume consulaire, il décerne un sabre d’honneur à un grenadier blessé. C’est une esquisse exécutée avec sentiment. Il donne au premier consul la dignité convenable. » Dans cette esquisse peinte, passée récemment en vente, Gros présentait donc bien le consul le bras tendu. En 1802, c’est toujours le cas dans sa composition monumentale objet de cet article si on en croit la description faite par le Journal des arts, des sciences et de littérature : « Le général, monté sur un cheval blanc, est revêtu du grand costume de la magistrature suprême, velours écarlate. Il passe, à la fin d’une bataille, devant une colonne de son armée. Les trophées, formés de drapeaux aux armes impériales, que l’on voit flotter dans les rangs de cette colonne, attestent sa victoire. Le Consul tient un sabre qu’il donne à un grenadier. » 
Les modifications ont donc dû être effectuées après le Salon mais avant que le tableau ne serve de modèle pour une tapisserie, tissée entre 1806 et 1810 par la manufacture des Gobelins pour illustrer les faits d’armes de Napoléon, qui est en revanche conforme à l’œuvre actuelle.

Les raisons de telles modifications nous échappent. Il se pourrait qu’elles résultent d’une demande explicite de Napoléon Bonaparte, changeant ainsi de manière considérable le message de l’œuvre, la muant en un portrait équestre monumental propre à exalter les qualités du général devenu empereur en 1804. 

Les opérations de restauration et les recherches accomplies par les équipes du C2RMF ont ainsi permis de dévoiler tant les qualités esthétiques de l’œuvre que la richesse de sa genèse, inconnue jusqu’alors.
 

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