La restauration des 13 Vues des Ports de France de Joseph Vernet au C2RMF
Publié le 13/12/2023
La réouverture du musée de la Marine de Paris, en novembre dernier, est l’occasion de venir admirer la série des Vues des Ports de France, réalisée par Joseph Vernet entre 1753 et 1765. Cet ensemble exceptionnel de 13 grands tableaux, comptant parmi les œuvres phares des collections, a bénéficié d’une restauration dans les ateliers de la filière peinture du département Restauration du C2RMF (site de Versailles) de janvier à décembre 2021.
Historique des œuvres
La série des vues des ports de France, commandée à Joseph Vernet (1714-1789) au nom du roi de France, par l’intermédiaire du marquis de Marigny, directeur des Bâtiments du roi, constitue un ensemble patrimonial exceptionnel, ainsi que la commande la plus importante du règne de Louis XV. Vernet est un peintre français établi à Rome depuis 1734, premier artiste à être honoré du titre de "Peintre de la Marine du Roi" en 1753. C’est cette même année qu’il reçoit cette commande officielle de grands tableaux, exaltant la magnificence des ports de France, dans le but de révéler la puissance économique du pays. Un itinéraire précis est alors établi par la direction des bâtiments. Vernet, accompagné de sa famille et de ses domestiques, parcourt le pays, de Marseille à Dieppe, réalisant ces peintures d’une grande richesse documentaire. Grâce à son observation directe de la nature, le peintre nous livre un témoignage saisissant des spécificités et activités propres à chaque région des ports les plus importants comme Marseille, Toulon, Bordeaux ou Bayonne.
Il ne lui faudra pas moins de 10 ans pour réaliser les 15 tableaux de la série, sur les 24 initialement prévus, dont 13 sont aujourd’hui conservé au musée de la Marine, et deux au musée du Louvre. A partir de 1791, à la demande de l’Assemblée Constituante, le peintre Jean-François Hue reprend la série des Ports de France en réalisant une vue de Lorient, trois vues de Brest et une de Saint-Malo, Vernet ayant interrompu la commande après La Rochelle et Rochefort.
Le projet de restauration
Cet ensemble exceptionnel de 13 grands tableaux a été restauré au C2RMF de janvier à décembre 2021. Au terme d’un marché public précédé d’une étude, un groupement mené par Alix Laveau a été choisi, constitué de 6 restaurateurs spécialisés support (Eve Froidevaux, Ludovic Roudet, Emmanuel Joyerot, Tiago de Souza Martins, Marion Poulignac, Iris Rostain) et de 7 restaurateurs de couche picturale (Alix Laveau, France de Viguerie, Virginie Trotignon, Marie Bégué, Stéphanie Martin, Giusy Dinardo, Elena Joulin). Un comité scientifique constitué de conservateurs du musée de la Marine, du musée du Louvre, et du C2RMF a piloté et suivi la restauration tout au long de l’année 2021.
Analyses en laboratoire: une identification des pigments
En complément de l’imagerie scientifique et des analyses non-invasives de fluorescence X réalisées en juin 2021, des prélèvements ont été effectués sur deux œuvres représentatives du corpus : la Vue du port de Bordeaux, prise du Château Trompette, (1759) et la Vue du golfe de Bandol, pêche au thon (1755). Ces analyses, effectuées par Johanna Salvant, scientifique spécialiste en conservation et chercheuse au C2RMF au sein du département Recherche, groupe peinture de chevalet, ont permis de caractériser le type de préparation (souvent double) et les pigments bleus employés. Plusieurs pigments ont ainsi pu être identifiés: du blanc de plomb, des terres, du noir de carbone, du lapis-lazuli, et du bleu de Prusse. Le recours à plusieurs pigments bleus (bleu de Prusse, lapis-lazuli) et la superposition de deux couches picturales pour peindre le ciel sont des éclairages intéressants sur la technique picturale de Joseph Vernet.
L'intervention de restauration
Toujours conservés ensemble depuis la Révolution française, les tableaux avaient connu une première intervention importante en 1798 lors de leur présentation au Louvre, puis une autre (mal documentée) au cours du XIXe siècle ; au XXe siècle cependant, seules des opérations ponctuelles et hétérogènes avaient eu lieu, ce qui avait provoqué de grandes disparités d’aspect selon les œuvres.
Les enjeux principaux étaient donc pour le support la conservation ou non des rentoilages historiques de 1798 par Joseph Fouque et François-Toussaint Hacquin, devenus désormais assez fragiles, et pour la couche picturale l’enlèvement des vernis et des repeints vieillis hérités des anciennes restaurations, afin de redonner une unité à l’ensemble.
L’équipe des restaurateurs a pu donc nettoyer simultanément les 13 tableaux pour leur redonner un état homogène. Ils ont ensuite été traités par les restaurateurs de support, qui ont pu finalement conserver tous les rentoilages anciens, souvent signés au revers. Après démontage et réfection des châssis, ils ont repris les déformations des toiles et consolidé les bords (souvent très abîmés) puis protégé les revers avec des calages de mousse polyester et des plaques de polycarbonate.
Enfin, les tableaux sont retournés sur chevalet pour l’ultime étape, la réintégration et le vernissage final : peu lacunaires, ils présentaient surtout des usures, qu’il a fallu atténuer. Les repeints sur les bords agrandis lors des rentoilages de 1798, qui débordaient sur la peinture originale, ont été remplacés par une teinte imitant la préparation rose ou la toile, respectant mieux la matière originale. Enfin un vernis naturel dammar a été posé.
Suite à cette importante restauration, la série des ports de France a retrouvé une belle unité esthétique, comme le désirait le musée.
Une technique aux usages différents