La liberté guidant le peuple, en cours d'intervention
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étude et restauration : La liberté guidant le peuple, E. DELACROIX

Redécouvrir la composition du tableau grâce à la recherche scientifique

Publié le 17/04/2024

Introduction

Ce tableau constitue l’une des représentations les plus connues de Marianne, et de la Liberté en tant qu’allégorie de la République française. L’artiste reprend l’idée de l’abbé Grégoire d’associer la Liberté à l’image d’une femme, portant un bonnet phrygien, une pique guerrière et le sein dévoilé.

Pour étudier ce tableau pendant sa restauration, le C2RMF a conduit plusieurs investigations complétant un dossier d’œuvre plus ancien. Un nouveau dossier photographique  (lumière directe, lumière rasante, infrarouge, ultraviolets, composite infrarouge fausses couleurs) a été complété par deux réflectographies infrarouges, l’une en amont de la restauration, la seconde à l’issue du nettoyage. La radiographie a été numérisée en une seule image et complétée par des détails sur les bordures. Deux campagnes de fluorescence X ont documenté l’œuvre avant et en fin de restauration après nettoyage. Les anciens prélèvements de 1982 ont bénéficié d’une nouvelle lecture au microscope électronique à balayage.

Présentation de l’œuvre

Lors des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830), le peuple de Paris se soulève contre le roi Charles X. Ces jours de barricades et de violences urbaines se soldent par la mise en place d’une monarchie constitutionnelle et la ré-adoption du drapeau tricolore. Dès octobre 1830, Eugène Delacroix entreprend de commémorer ces événements par un tableau destiné au Salon d’avril 1831. L’œuvre, de format monumental, est ainsi peinte en quelques six mois. Elle est achetée par le gouvernement français pour la somme de 3 000 francs.

Dès son acquisition, le tableau a été associé aux tumultes de l’histoire politique française. Il a connu des déplacements successifs entre différents lieux d'exposition, de réserve, et même un retour chez l’artiste de 1839 à 1849. Delacroix exprime alors son inquiétude sur l’état de conservation du tableau, car chaque déplacement sous-tend déclouage, roulage, remise sur châssis. Au cours du XXe siècle, l’œuvre sera à nouveau déplacée pour des expositions et de nombreuses opérations de restauration sont menées (rentoilage, nettoyage, revernissage,…).

L'oeuvre est placée en sécurité, en 1914, dans l’église des Jacobins à Toulouse. À son retour après-guerre, la restauration a été confiée à Lucien Aubert. Il est de nouveau évacué en 1939 et mis en dépôt au château de Sourches. Les nombreux déplacements et manipulations de l’œuvre ont affaibli les bords de la toile. C’est pourquoi, en 1949, une restauration fondamentale, comprenant un rentoilage à la colle et un allégement du vernis, est réalisée par Raymond Lepage et Paul Maridat pour le support et Georges Zezzos pour la couche picturale.

Repentirs observés sur la radiographie sous la forme d’un schéma de lignes beiges
Repentirs observés sur la radiographie sous la forme d’un schéma de lignes beiges

Une scène modifiée en cours d’exécution

La radiographie numérisée corrélée aux résultats de la réfléctographie infrarouge et à l’observation directe de l’œuvre ont permis de mettre en évidence de nombreux repentirs en cours d’exécution concernant presque tous les personnages de la scène.

La mise en place initiale et les repentirs sont décelables en réflectographie infrarouge, sous forme de traits de pinceau assez larges, qui attestent d’un travail préliminaire rapide et schématique, à l’aide d’une matière carbonée relativement fluide. Lors des modifications ultérieures, les nouvelles formes ont été dessinées sur les couches peintes avec une matière similaire à la précédente. Afin de raffermir les formes définitives, l’artiste les a fortement cernées par des fonds clairs ou sombres.

L’allégorie de la Liberté, personnage central du tableau, présente les modifications les plus importantes. Tout d’abord, le positionnement de sa tête a été changé, d’une vue de trois quart vers un profil strict. La position initiale pourrait reprendre l’idée de certains dessins préliminaires de Delacroix (dessin de tête de Détroit).

Dessin - Détroit , dessin préparatoire de l'artiste
Dessin - Détroit , dessin préparatoire de l'artiste

Sa robe a été largement modifiée en cours d’exécution. Plus ample, vers la gauche comme vers la droite de la composition, avec une ceinture aux pans flottants, une manche gauche plus large, la robe présentait un drapé déjà précisé par le pinceau, lors de sa modification secondaire vers une ligne générale plus près du corps.

Le drapeau tricolore a lui aussi été modifié en cours d’exécution, comme l’indiquent à la fois la réfléctographie infrarouge et la radiographie, pour une forme plus dynamique.

A droite de la Liberté, à l’emplacement de l’enfant, de nombreux traits de mise en place visibles sur la radiographie et la première réflectographie avant restauration, se superposent posant la question de la présence initiale du gamin. La seconde réflectographie après nettoyage, précise la trop grande proximité initiale de la figure de la Liberté et de l’Enfant, en partie superposés, ce qui a conduit l’artiste à les séparer en les juxtaposant, pour une plus grande clarté de la composition.

L’homme agenouillé en chemise bleu a été rajouté tardivement, sa silhouette prenant place sur une partie de la première robe de la Liberté et sur la jambe gauche de l’homme au chapeau haut de forme.
 

Des modifications de composition entrainant des craquelures de la couche picturale

Si des lacunes profondes sont relativement peu nombreuses, des craquelures prématurées sont observées sur certaines plages de couleur où la superposition des couches a sans doute été trop rapide, comme sur la robe de la Liberté et l’enfant (zones de modifications importantes de la composition) comme dans les plages sombres cernant les motifs définitifs de la foule. 

Restauration : sous les vernis, la liberté retrouvée

La restauration s’inscrit dans la campagne de restauration des grands formats de la salle Mollien, initiée par le musée du Louvre en 2019. Après des études préliminaires menées par le laboratoire du C2RMF en juin 2022, le tableau a été réinstallé dans la salle Mollien. La restauration s’est déroulée de septembre 2023 à avril 2024 avec les restaurateurs, Bénédicte Trémolières et Laurence Mugniot pour la couche picturale, et pour le support Luc Hurter et Jean-Pascal Viala. Clarisse Delmas, a piloté pour le C2RMF le suivi de la restauration.

INTERVENTION DE RESTAURATION

La toile originale se compose de trois lès horizontaux, chacun d’environ 90 cm de large, reliés par des coutures. Le rentoilage de 1949 et le changement de châssis de 1999 n’ont pas nécessité de reprise fondamentale du support, car l’adhérence du rentoilage est bonne, la tension de la toile également.   
Avant restauration, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix  était obscurcie par un épais vernis et par la présence de repeints sur des zones altérées. Le vernis, composé de plusieurs couches appliquées lors des interventions minimales et fondamentales du XXe siècle, était oxydé et jaune, encrassé, craquelé et avait perdu de sa transparence. Des repeints appliqués lors de restaurations précédentes recouvraient des usures, des craquelures prématurées et de petites lacunes. Ces repeints étaient désaccordés et débordants. 
 

@C2RMF/Thomas Clot – Image numérique en lumière réfléchie, couleurs, avec tests de nettoyage
Image numérique en lumière réfléchie, couleurs, avec tests de nettoyage

L’intervention sur la couche picturale de La liberté guidant le peuple s’est déroulée en deux étapes, une comprenant le retrait partiel des vernis et des repeints et la deuxième comprenant le vernissage et la réintégration.

Après l’approbation des tests de nettoyage par les responsables de l’œuvre les restauratrices ont procédé à l’allégement des vernis anciens et à l’élimination des différents repeints. Les couleurs et les touches du peintre sont apparues dans toute leur subtilité et leur nuance : les rehauts jaunes de la robe de la Liberté, les nuées de fumée, les nuances dans les pavés de la barricade, les rappels de bleu, de blanc et de rouge dans les habits et les carnations. Cette intervention a révélé la richesse de la matière picturale  appliquée en empâtements ou en glacis, en frottis, en aplats couvrants ou transparents. 

Après un vernissage au pinceau et en pulvérisation, les quelques lacunes sur les bords et dans le ciel, les restauratrices ont réintégré les craquelures prématurées et certaines transparences accrues de la matière dues au vieillissement de matériaux.

@C2RMF/Thomas Clot – Détail du gamin des rues- Image numérique en lumière réfléchie, couleurs, avant intervention en cours d’intervention, après nettoyage
Détail du gamin des rues - Image numérique en lumière réfléchie, couleurs, avant intervention en cours d’intervention, après nettoyage

CONCLUSION

L’analyse scientifique a donc permis de distinguer les principales étapes de la mise en place de la composition. Ainsi, on observe qu’au cours de l’exécution peinte du tableau, Delacroix a choisi d’accroitre la tension verticale de la Liberté, notamment en adoptant un profil strict et en diminuant le volume de sa robe. Cette étude a précisé par ailleurs l’état de conservation relativement satisfaisant du tableau, essentiellement modifié par un épais verni oxydé et jauni.

Cette intervention a révélé la journée Révolutionnaire enfouie sous des couches de vernis accumulées au cours des années. L’événement est là, palpable : le drapeau se détache du ciel, la fumée se dissipe, et l’on entre dans un moment crépusculaire où l’on peut presque entendre le grondement sourd du peuple. Ce projet de restauration transcende la simple préservation de l’œuvre, il lui rend sa voix, son histoire, et son pouvoir évocateur.
 

Information : réduction des activités sur le site de Versailles
De juin 2022 jusqu’à fin 2025
La liberté guidant le peuple, après intervention @C2RMF Thomas Clot
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