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Figure 3 : Botticelli et atelier, vers 1445-1510, tempera sur toile (130,7 X 91,4), The Henry Barber Trust, the Barber Institute of Fine Arts, University of Birmingham Inv. 43.10. ©Bridgeman images
© ©CC BY-SA 4.0

La Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste - Etude d'œuvre

La Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste une œuvre de l’Atelier de Sandro Botticelli : découverte, restauration et attribution

Publié le 25/10/2023

La Vierge à l’enfant et le saint Jean-Baptiste, redécouverte dans l’église Saint-Félix de Champigny en 2020, est une œuvre énigmatique arrivée au C2RMF en juin 2023, pour une étude technique et scientifique durant la campagne de restauration. S’agit-il d’une œuvre copiée par un suiveur de Botticelli ou exécutée dans l’atelier du maître, connu pour réaliser des œuvres en série ? Si tel est le cas, a-t-elle été réalisée à partir du prototype du Palais Pitti, comme pour la version du Barber Institute de Birmingham ?

A travers cet article, nous vous proposons de suivre cette investigation, en parcourant les recherches et la restauration conduites par les experts du C2RMF, à la demande de la conservation régionale des monuments historiques du Centre - Val de Loire, responsable scientique et maître d'ouvrage (Hélène Lebédel-Carbonnel) et l'accompagneùent du comité scientifique (Mattéo Gianeselli, Pierre Curie, Ana Debenedetti). 

Histoire d'une redécouverte 

Protégé au titre des MH comme une copie du 19e siècle, l'attribution du tableau est à nouveau questionnée en 2010. Au cours de son travail sur le Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises, sous les auspices de Michel Laclotte, Matteo Gianeselli, conservateur du patrimoine au musée national de la Renaissance, avait à cette date identifié le tableau comme une œuvre de l’atelier de Botticelli. Il ne s'agissait alors que d'une intuition, qu'une fructueuse collaboration entre le C2rmf, le musée national et la DRAC allait permettre de confirmer à partir des analyses scientifiques présentées ci-après. Sur proposition de Matteo Gianeselli l'oeuvre est présentée dans l'exposition "Botticelli, artiste et designer" organisée par le musée Jacquemart-André en 2021, à nouveau étudiée et publiée.

Une étude technico-scientifique

Une intervention de restauration fondamentale du support, de la couche picturale et du cadre a été réalisée par les restaurateurs Emanuela Bonaccini, Emmanuel Joyerot et Marie Dubost, pour rétablir la cohérence structurelle de l’œuvre et améliorer son aspect esthétique. En effet, l’état de présentation de cette peinture s’était altéré en raison du vieillissement naturel des matériaux originaux mais aussi de son histoire matérielle, notamment des interventions de restauration passées.

Les études menées permettent de comprendre les techniques de création employées, de préciser l’attribution et de documenter l’histoire matérielle de l’œuvre. Un dossier d’imagerie complet a ainsi été réalisé en amont de la campagne de restauration (lumière visible, infrarouge, ultraviolette). Des observations sous loupe binoculaire, des analyses non invasives et à partir de micro-prélèvements ont été réalisées en cours d’intervention. Pour tenter de répondre à ces interrogations, toutes les informations récoltées au cours de l’étude sont mises en perspective avec les données recueillies sur deux autres tableaux attribués à l’atelier de Botticelli : celui du Barber Institute et celui du Palais Pitti.

Comparaison et technique de création

1) Le support

Figure 4: Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste, Atelier de Botticelli, 1510, peinture sur toile, Champigny en Beauce. Toile, couture en surjet recouverte d’une fine bande de toile. Lignes radio opaques laissées par les traces de stylet lors du report. Radiographie ©C2RMF Philippe Salinson
Figure 4: Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste, Atelier de Botticelli, 1510, peinture sur toile, Champigny en Beauce. Radiographie © ©CC BY-SA 4.0

Les différentes étapes de la création de cette œuvre ont pu être identifiées, ainsi que les matériaux utilisés. Dans un premier temps, l’artiste a choisi un support toile, matériau plus souple et transportable que le bois. Le retrait de la toile de rentoilage lors de la restauration a permis d’examiner le support original, constitué de deux lés de toile d’armure toile assez serrée, dont la couture est située au niveau de l’épaule de la Vierge, comme celle du prototype du Palazzo Pitti. L’œuvre a été rentoilée au moins à deux reprises par le passé et cette intervention de restauration a notamment permis de rétablir la planéité et l’adhérence de la couche picturale au support.

2) Préparation selon la technique italienne

La toile a ensuite été préparée en appliquant deux couches de gesso (mélange de sulfate de calcium et de colle) selon la méthode traditionnelle italienne du XVe siècle. Les images obtenues par réflectographie infrarouge permettent d’étudier le dessin sous-jacent. Le tracé net, précis et quelque peu mécanique mais aussi l’absence de reprises, indiquent que la composition a été reportée à partir d’un modèle. En effet, de petits points noirs caractéristiques de l’emploi d’un poncif sont observés au niveau de la main et des vêtements de la Vierge comme cela avait été observé dans version du Barber Institute de Birmingham.

Figure 4 : relevé réalisé à partir des photographies et comparaison des dessins des trois tableaux représentant la Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste, Atelier de Botticelli, 1510, peinture sur toile. a : Palazzo Pitti, Inv. Palatina 1912 n. 357 (vert), Champigny en Beauce (jaune). b : Palazzo Pitti, Inv. Palatina 1912 n. 357 (vert), Barber Institute de Birmingham Inv. 43.10 (rose). ©Emanuela Bonaccini
Figure 5 : relevé réalisé à partir des photographies et comparaison des dessins des trois tableaux représentant la Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste, Atelier de Botticelli, 1510, peinture sur toile. © ©CC BY-SA 4.0

3) Couche picturale

L’analyse des différentes strates de la peinture révèle que le tableau a été peint a tempera (technique de peinture ancienne, dont le liant est à l’œuf et à l’huile dans certaines couches). La palette est constituée de pigments habituellement employés dans les œuvres de Botticelli et de son atelier. L’étude a démontré l’ajout de grains de verre sodique dans la couche picturale, ce qui constitue un véritable marqueur temporo-spatial. Souvent observés sur des peintures exécutées autour des XVe, XVIe et parfois XVIIe siècle, en Italie ou autour du pourtour méditerranéen ; cela n’a néanmoins jamais été identifié sur les œuvres de Botticelli mais très probablement dans une œuvre de son atelier, La Fuite en Egypte analysée au C2RMF et actuellement conservée au musée Jacquemart André à Paris.
L’examen de la radiographie du tableau de Champigny révèle également que les figures ont été peintes par des artistes différents. En effet, le visage, les pieds et les mains de la Vierge ont été exécutés avec une grande économie de blanc. Le traitement des carnations de la Vierge parait beaucoup plus subtil que celui des enfants : les traces de pinceau sont imperceptibles, les modelés plus doux et les contours plus précis. La couche picturale a été réintégrée de façon illusionniste en s’appuyant sur les modèles du Palais Pitti et du Barber Institute pour reconstituer les parties manquantes.

 

Conclusion de l'investigation

L’étude technico-scientifique permet de confirmer que La Vierge à l’Enfant et le jeune Saint Jean-Baptiste a bien été exécutée à l’aide du même modèle que la version du Barber Institute, à partir du prototype du Palais Pitti. Les différences observées dans le traitement des figures semblent indiquer que plusieurs artistes ont probablement travaillé sur le tableau de Champigny. La présence de grains de verre de type sodique dans la couche picturale permet de replacer l’œuvre dans son contexte temporo-spatial alors que le traitement particulier de la couleur par superposition d’une multitude de fines couches de peintures est à rapprocher des œuvres de Botticelli et de son atelier.


La prise en charge de l’œuvre dans les ateliers du C2RMF a permis d’apporter une assistance scientifique et technique aux responsables de collection et à l’équipe de restaurateurs mais aussi de documenter toutes les interventions. Grâce à une restauration fondamentale, l’état structurel et esthétique de l’œuvre a été amélioré pour une meilleure présentation au public.