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L'abbaye dans une forêt de chênes, par Caspar David Friedrich, réalisé vers 1809-1810
L'abbaye dans une forêt de chênes, par Caspar David Friedrich, réalisé vers 1809-1810

« L’Abbaye dans une forêt de chênes » de Caspar David Friedrich

De l’analyse non-invasive in situ à la simulation numérique - Imagerie scientifique - à l’occasion du 250e anniversaire du peintre 

Publié le 05/09/2024

Caspar David Friedrich (1774-1840), né à Greifswald près de la mer baltique, un des représentants pincipaux des Romantiques allemands, est un des derniers peintres à avoir utilisé le pigment synthétique smalt au début du XIXe siècle. Le smalt est un verre potassique bleu teinté au cobalt et broyé. Produit proche des monts montallifères, en Allemagne à partir du XIV e siècle, où les minerais de cobalt étaient extraits, il a couramment été utilisé comme pigment bleu dans les peintures à l’huile entre le XV e et le XVIII e  siècle [1]. Malheureusement ce pigment n’est pas très stable. Il s’altère au cours du temps et sa couleur passe du bleu au marron-gris. Un changement de couleur pouvant modifier drastiquement et irréversiblement l’aspect des œuvres. Afin de mieux comprendre le mécanisme d’altération déjà étudié [2][3], nous avons porté notre interêt sur l’étude des facteurs qui influencent l’altération du pigment. Plusieurs œuvres ont été étudiées et notamment l’oeuvre de Caspar David Friedrich « L’Abbaye dans une forêt de chênes » peinte en 1809/10 et conservée dans la Alte Nationalgalerie à l’occasion du 250e anniversaire du peintre qui a lieu le 5 septembre 2024.

Phénomène d’altération du smalt et recherche des facteurs jouant sur l’altération

Le smalt comme pigment a été abandonné à la fin du XVIIIe siècle à cause de son pouvoir de coloration modéré et du fait de son instabilité dans le temps, passant d'une teinte bleu profond à une couleur gris-jaune. Le processus chimique sous-jacent de la décoloration du smalt est dû à un échange ionique entre les ions potassium contenus dans les grains de smalt et les ions hydrogène provenant du milieu huileux. Le départ des ions potassium des grains de verre entraine différents phénomènes et notamment une réorganisation de la matrice silicatée des grains, produisant un changement de coordination des ions cobalt responsables de la couleur du pigment. Ces grains passent d’une coordination tétraédrique à octaédrique et perdent ainsi leur couleur. Mais si le mécanisme d’altération a été compris, on ne sait pas encore quels paramètres empêchent le smalt de se décolorer dans les peintures ou quelles conditions accélèrent le vieillissement. Un recensement des œuvres contenant du smalt et ayant été étudiées au C2RMF a été effectué. Cette étude a permis d'établir une liste d'échantillons contenant du smalt, ainsi que l'évaluation de l'état d'altération du pigment, telle que rapportée dans les analyses scientifiques. Il a été montré que des facteurs tels que la durée ou la profondeur de la couche picturale contenant du smalt dans la stratigraphie ne semblent pas avoir d'influence significative sur l'altération du pigment [4].

Deux approches ont été adoptées. D’une part, nous avons travaillé sur les échantillons historiques et les échantillons modèles pour comprendre les phénomènes d’altérations. D’autre part, nous avons étudié des œuvres complètes par imagerie scientifique en employant des appareils portables pour pouvoir identifier le smalt dans les peintures, établir sa répartition et définir des critères de l’état de conservation afin de proposer une simulation de la couleur d’origine.

De l’imagerie scientifique vers la simulation de la couleur

Figure 1. Cartographies chimiques de L’Abbaye dans une forêt de chênes, 1809-10 – Alte Nationalgalerie obtenues par fluorescence X 2D (MA-XRF) et imagerie hyperspectrale (RIS) in situ
Figure 1. Cartographies chimiques de L’Abbaye dans une forêt de chênes, 1809-10 – Alte Nationalgalerie obtenues par fluorescence X 2D (MA-XRF) et imagerie hyperspectrale (RIS) in situ © © Clément de Mecquenem

L’œuvre de « L’Abbaye dans une forêt de chênes » de Caspar David Friedrich conservée à La Nationalgalerie de Berlin a été analysée sur place par des méthodes d’imagerie de pointe (Figure 1). La Alte Nationalgalerie de Berlin abrite 15 tableaux de Caspar David Friedrich ce qui représente la plus grande collection d'œuvres de l'artiste au monde.

La compréhension des phénomènes d’altération (Figure 2), des facteurs influençant la dégradation du smalt dans les peintures et l’analyse de la répartition des pigments (figure 1) a permis de mettre au point un procédé de simulation numérique des couleurs d’origine du tableau [5-6].

Figure 2 A : Comparaison des spectres XANES au seuil K du Co moyennés du smalt des deux peintures de Friedrich. B : Comparaison de XANES sur les spectres au seuil K du Co d'un smalt de référence inchangé et d'un smalt altéré
Figure 2 A : Comparaison des spectres XANES au seuil K du Co moyennés du smalt des deux peintures de Friedrich. B : Comparaison de XANES sur les spectres au seuil K du Co d'un smalt de référence inchangé et d'un smalt altéré

Références :

[1]    F. Delamare, « Aux origines des bleus de cobalt : les débuts de la fabrication du saffre et du smalt en Europe occidentale », Comptes-Rendus Séances Année - Académie Inscr. B.-lett., vol. 153, no 1, p. 297‑315, 2009, doi: 10.3406/crai.2009.92472.

[2]    L. Robinet, M. Spring, S. Pagès-Camagna, D. Vantelon, et N. Trcera, « Investigation of the Discoloration of Smalt Pigment in Historic Paintings by Micro-X-ray Absorption Spectroscopy at the Co K-Edge », Anal. Chem., vol. 83, no 13, p. 5145–5152, juill. 2011, doi: 10.1021/ac200184f.

[3]    L. Robinet, M. Spring, et S. Pagès-Camagna, « Vibrational spectroscopy correlated with elemental analysis for the investigation of smalt pigment and its alteration in paintings », Anal. Methods, vol. 5, no 18, p. 4628, 2013, doi: 10.1039/c3ay40906f.

[4]    I. Reiche, C. de Mecquenem, et M. Eveno, « L’utilisation du smalt et son altération dans les peintures des collections françaises. », in Les bleus et les verts : couleurs et lumières, Hermann.2022.

[5]      K. Mösl et al. Caspar David Friedrich und die Smalte. Pigmentveränderungen und Möglichkeiten der digitalen Simulation, in: Aus rot wird schwarz - und dann? Pigmentveränderungen an Kunst- und Kulturgut, hendrik Bässler Verlag Berlin, 111-133, 2024.

[6]     C. de Mecquenem et al., Influence of the painting medium on the alteration process of smalt in oil paintings studied using combined K and Co K-edge XANES. Applied Physics A accepté.