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Figure 6 – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot ©
Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration © – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot

Restauration : "L’Après-dînée à Ornans" de Gustave Courbet

 Étude et restauration d’œuvre 

Entre 2023 et 2024, le Palais des Beaux-Arts de Lille a confié au C2RMF le célèbre tableau de Gustave Courbet pour qu’il y soit analysé et restauré. Cela a permis de nombreuses découvertes.

En 1973, L’Après-dînée à Ornans avait été accueillie au Laboratoire des musées de France. Cinquante ans plus tard, elle était de retour au C2RMF pour étudier ses étapes de création, son histoire et procéder à sa restauration rendue nécessaire en raison des nombreuses couches de repeints et de vernis. Pour les retirer, une technique spécifique de nettoyage a été adoptée.

 

 

Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, lumière directe, avant restauration – © C2RMF / Laurence Clivet

Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, lumière directe, avant restauration – © C2RMF / Laurence Clivet
Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, lumière directe, avant restauration – © C2RMF / Laurence Clivet © – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot

Un manifeste du Réalisme réputé s’obscurcir

« […] Voilà un novateur, un révolutionnaire aussi, il éclot tout d’un coup, sans précédent : c’est un inconnu » : c’est par ces mots que Delacroix qualifiait Gustave Courbet lors du Salon de 1849 au cours duquel ce dernier avait présenté L’Après-dînée à Ornans et remporté la seconde médaille d’or. Son tableau fut acheté par l’État puis déposé au Palais des Beaux-Arts de Lille. Précédant L’Enterrement à Ornans, il incarne l’un des premiers manifestes du Réalisme.

Cependant, très rapidement, l’œuvre était réputée s’assombrir. En 1878, Paul Mantz évoquait ainsi une peinture « […] rongée par une légion de maladies, [qui] s’efface et disparaît chaque jour […] la toile, rembrunie par endroits, s’est couverte par ailleurs d’une multitude de petits points, comme si, toute fraîche encore, elle avait été exposée à une pluie de grains de sable ». Ces « grains de sable » sont dus au phénomène de lithargeage visible sur l’ensemble du tableau et qui lui confère un aspect de surface granuleux. Cette altération est irréversible.

Étude de l’œuvre au C2RMF

À son arrivée au C2RMF, le tableau a bénéficié d’une longue étude effectuée par le département Recherche. Un dossier d’imagerie scientifique a été réalisé (lumière directe, lumière rasante, ultraviolets, infrarouge, réflectographie infrarouge, radiographie, une cartographie FX partielle). Elle été poursuivie lors de sa restauration avec des analyses OCT et des prélèvements de couche picturale. L’analyse de l'imagerie et sa confrontation à l’œuvre a permis de mieux comprendre sa genèse. Gustave Courbet a tout d’abord constitué son support en cousant pas moins de 7 morceaux de toile. Comme il en est coutumier, le peintre a fait de très nombreuses modifications dans sa composition avant de parvenir à la scène que nous voyons aujourd’hui. Elles sont visibles sur la radiographie : le personnage identifié comme le père de l’artiste, à gauche, est celui qui a subi le plus de changements, le chien a été déplacé, la position du bras du violoniste, Promayet, a été changéé, la cheminée a été modifiée…

Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, radiographie – © C2RMF / Laurence Clivet ; relevés des repentirs par Oriane Lavit

Figure 2 – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, radiographie – © C2RMF / Laurence Clivet ; relevés des repentirs par Oriane Lavit
Figure 2 – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, radiographie © – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot

Les enjeux de la restauration

Avant sa restauration, la scène était difficile à percevoir. C’est une des raisons qui a incité le palais des Beaux-Arts de Lille à entreprendre sa restauration. En effet, il paraissait possible d’améliorer sa bonne appréciation esthétique. Par ailleurs, des interventions sur le support étaient nécessaires pour consolider la toile originale.

Le tableau avait déjà été restauré avant l’intervention de 2023. En effet, vers 1919, il avait été rapatrié de Bruxelles où les autorités allemandes l’avaient déposé à la fin de la première guerre mondiale. Vraisemblablement lors des transports vers la capitale belge, il avait subi une déchirure. En 1920, l’œuvre était confiée pour une restauration de la couche picturale et une consolidation de la toile à Léon Govaert et Gaston Chauffrey. Dans L’Écho du Nord en 1924, Fernand Beaucamp expliquait que les restaurateurs avaient soumis les vernis « à un traitement spécial qui eut pour effet de les dissoudre en un cambouis innommable, en une véritable boue de ton marron. Lorsque fut terminé le nettoyage, l’œuvre du « Courbet » apparut dans une admirable jeunesse de couleur […] Les lèvres de plaie [de la toile] furent rapprochées et le « remaillage » exécuté avec succès. » La présence d’un deuxième vernis visible sous fluorescence d’ultraviolet laisse à penser qu’il y eut une seconde restauration entre 1920 et 1972 dont nous n’avons pas pu retrouver la trace.        


La sensibilité possible des couches picturales du XIXe siècle a conduit les restauratrices à proposer un protocole de nettoyage spécifique. Des nanogels, qui permettent un nettoyage particulièrement contrôlé, ont été utilisés. Cette opération a montré que le tableau était très amplement repeint et juté. Les retouches anciennes, débordant sur l’original, ont probablement été effectuées pour masquer les usures de certaines parties, notamment dans les zones repentirs (modifications de composition) - et atténuer l’effet granuleux dû à la litharge. Le retrait de ces jutages a permis de révéler une gamme chromatique bien plus subtile : le pantalon bleu nuit du violoniste – entièrement noir avant restauration -, les jeux de gris et orangés sur le mur, ou encore la nappe blanche qui se détache désormais pleinement du reste de la composition. Les empâtements du peintre ont aussi été remis en valeur. La réintégration a été très limitée. L’objectif était de redonner à voir l’original en calmant les zones d’usures.

Les interventions sur le support ont consisté à consolider la toile originale en renforçant les bords de tension et les nombreuses coutures. Le châssis de la précédente restauration a été remplacé par un châssis permettant un réglage de la tension plus fin et continu. Enfin, la toile originale a été calée avec des molletons.


Conclusion

Cette opération d’envergure qui a mobilisé l’ensemble des départements du C2RMF a permis à la fois d’enrichir notre connaissance de la technique de Courbet et de redévoiler sa palette. Ce dossier est aussi emblématique des liens forts tissés entre le palais des Beaux-Arts de Lille et le C2RMF.

Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot

Figure 6 – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot
Figure 6 – Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans, 1849, après restauration – © C2RMF / Thomas Clot © © C2RMF / Thomas Clot
Paul Gauguin, Le Cheval blanc (Paris, musée d'Orsay), imagerie scientifique
© C2RMF/Jean-Louis Bellec et Thomas Clot
Illustration page CANOPEE
© C2RMF
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© @C2RMF Antoine Merlet