Vue générale du buste du Viṣṇu du Mébon occidental (ga 5387). 2nde moitié du XIe siècle. Bronze, L. 222 cm, l. 123 cm. © P. Baptiste

Mis à jour 25/04/2024


Œuvre majeure du patrimoine cambodgien, et pièce maîtresse d’une grande exposition que le musée Guimet consacrera aux bronzes royaux d’Angkor du 30 avril au 8 septembre 2025, le Vishnu du Mébon occidental fait l’objet d’une coopération exceptionnelle en vue de son étude et de sa restauration entre le musée national du Cambodge, le musée national des arts asiatiques - Guimet, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et l'École française d’Extrême-Orient (EFEO). Cette coopération bénéficie du soutien financier de la Fondation ALIPH.


 

L’humble humain rendu muet devant ce géant impressionnant couché sur le côté qui sommeille, la tête appuyée sur un bras replié, ne peut manquer de surcroît d’admirer sa belle figure au contour parfait qui dégage tant de sérénité et de profondeur. 
 

Saveros Pou
Vue générale du buste du Viṣṇu du Mébon occidental (ga 5387). 2nde moitié du XIe siècle. Bronze, L. 222 cm, l. 123 cm. © P. Baptiste
Vue générale du buste du Viṣṇu du Mébon occidental (ga 5387). 2nde moitié du XIe siècle. Bronze, L. 222 cm, l. 123 cm.

1) Un chef-d’œuvre de l’art khmer

A) Contexte de création et de découverte

Le Vishnu du Mébon occidental est une sculpture monumentale en bronze qui compte parmi les rares représentations en ronde bosse du grand dieu de l’hindouisme sous sa forme couchée, reposant sur son flanc droit et doté à l’origine de quatre bras. Œuvre de commande royale, la statue fut probablement réalisée à la demande du souverain khmer Udayādityavarman II (r. 1050-1066), afin d’être installée comme image de culte dans le temple du Mébon occidental, construit au centre du plus grand bassin d’Angkor, le Baray occidental. Plusieurs fragments de la statue, détruite comme tant d’autres avant d’être rituellement enfouie, y furent découverts en 1936 par le conservateur français Maurice Glaize, au niveau de l’îlot central du sanctuaire, dans le comblement d’une fosse maçonnée. Depuis 1950, seul le buste du Vishnuu est exposé dans les galeries du musée national, alors que plus d’une quarantaine de fragments et de débris sont conservés en réserve.

B) Une oeuvre à forte symbolique 

La sculpture évoque de manière grandiose un mythe de la création du monde aussi populaire en Inde qu’au Cambodge. Au terme d’une ère cosmique, après avoir résorbé toute chose en lui-même, Vishnu sommeille sur l’océan primordial, étendu sur les replis du serpent Śeṣa ou Ananta – d’où son nom d’anantaśāyin [« Celui qui a pour couche Ananta »]. Le dieu médite sur la création du monde à venir ; certains textes précisent qu’il atteint alors une taille gigantesque. À son réveil, un lotus d’or s’élève de son nombril – d’où son autre nom de padmanābha [« Celui dont le nombril est un lotus »] – ; et de cette fleur, symbole de renaissance et de pureté, émerge le dieu Brahmā afin de procéder à la création d’un nouvel univers.

À l’instar de nombreuses autres représentations khmères du même récit cosmogonique, le thème de la naissance de Brahmā semble avoir été privilégié dans le cas de l’image du Mébon occidental, Vishnu étant figuré pleinement éveillé. Il faudrait dès lors envisager un groupe sculpté qui, outre Vishnu et Brahmā, inclurait son épouse Lakṣmī, généralement représentée aux pieds du dieu, alors que le serpent Ananta se confondrait avec le socle de la statue principale et l’océan cosmique avec le bassin qui l’entoure et, au-delà, l’immense Baray occidental.

L’archéologie tend aujourd’hui à confirmer un tel dispositif cultuel, de même qu’un possible mécanisme d’adduction d’eau relié à la sculpture. Sans doute faut-il y voir le « Buddha couché en bronze, dont le nombril laisse continuellement couler de l’eau » dont l’émissaire chinois Zhou Daguan a ouï dire lors de son séjour à Angkor à la fin du XIIIe siècle. Le Mébon occidental serait ainsi à interpréter comme un tīrtha, lieu de pèlerinage et de bain aux eaux sanctifiées et purificatrices, comme il en sera plus tard, sous le règne du souverain bouddhiste Jayavarman VII (r. 1182/1883 – ca. 1220), de l’île-sanctuaire de Neak Pean au centre du Baray de Preah Khan.

Comparaison avec un bas-relief de Kbal Spean, la rivière sculptée aux mille liṅga, XIIe siècle (Phnom Kulen, Cambodge). © P. Baptiste
Comparaison avec un bas-relief de Kbal Spean, la rivière sculptée aux mille liṅga, XIIe siècle (Phnom Kulen, Cambodge).

C) un tour de force technique  

Chef-d’œuvre inégalé de l’art khmer, le Vishnu du Mébon occidental constitue tout autant un tour de force technique reflétant la richesse et la variété des savoir-faire maîtrisés par les fondeurs angkoriens. D’une longueur d’origine estimée à plus de cinq mètres, la statue constitue l’une des plus grandes sculptures en bronze jamais fondues en Asie du Sud-Est. Depuis 2018, une nouvelle série d’examens et d’analyses ont aidé à mieux comprendre ses procédés de fabrication.

Schéma technique du buste. © M. Castelle
Schéma technique du buste.

2) Le projet Vishnu : de la recherche à la restauration

A) Les prémices d'une collaboration

. Principaux fragments du Viṣṇu et des autres sculptures associées (MNC et S. Clouet)
. Principaux fragments du Viṣṇu et des autres sculptures associées

Depuis 1996 et l’exposition « Angkor et dix siècles d’art khmer » au Grand Palais, le C2RMF s’intéresse aux techniques de fabrication des bronzes khmers, en collaboration avec le musée national des arts-asiatiques-Guimet. En 2009, la recherche s’intensifie à l’occasion d’une thèse de doctorat à l’université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 . Enfin, depuis 2016, un programme de recherche pionnier et collaboratif intitulé LANGAU, ou « cuivre » en vieux khmer, se consacre sous la coordination de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) à une étude plus globale de la métallurgie du cuivre dans le Cambodge angkorien. C’est notamment dans le cadre de ce programme, mais aussi du programme CAST:ING piloté par le C2RMF, qu’une nouvelle série d’examens et d’analyses ont été conduits sur le Vishnu du Mébon occidental et sur les principaux fragments conservés, dans le but premier de mieux comprendre les procédés de fabrication. Une vingtaine de spécialistes internationaux de la statuaire en bronze ont été ainsi sollicités, en janvier 2018, pour participer à une étude technologique préliminaire du Vishnu. 

Figure . Examen d’un des fragments principaux du Vishnu lors de la campagne d’étude au Musée National du Cambodge en janvier 2018
Examen d’un des fragments principaux du Vishnu lors de la campagne d’étude au musée national du Cambodge en janvier 2018.

Les résultats de leur travaux ont été publiés la même année dans les pages du Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (BEFEO). Ces travaux ont permis de mettre en évidence les caractéristiques techniques suivantes : fonte à la cire perdue, découpage du modèle en cire en plusieurs sections, coulée primaire avec alliage de bronze à l’étain, assemblage mécanique et métallurgique, réparure avec plaquettes en cuivre et coulée secondaire, dorure au mercure intégrale, ou encore effets de polychromie au niveau du visage avec incrustations métalliques et minérales (sourcils, yeux, lèvres, moustache, barbe et cou).

 

B) Un projet novateur 

Ces résultats fortement prometteurs ont fait émerger l’idée d’une étude de plus grande ampleur, ce qui impliquait la venue de la statue en France pour accéder à des moyens analytiques plus poussés. L’occasion également de reprendre sa conservation-restauration en s’appuyant sur l’expertise française. Le « Projet Vishnu » est alors né, porté côté français par les trois institutions sus-citées (C2RMF, musée Guimet et EFEO). Le lancement officiel du projet n’est toutefois intervenu qu’avec la signature d’un accord quadripartite de coopération scientifique et technique incluant le musée national du Cambodge, qui a été organisée le 11 décembre 2019 à l’occasion de la 26e session plénière du CIC-Angkor. Si le Projet Vishnu a été ensuite largement impacté par la pandémie de Covid-19, il n’a pas moins continué d’exister et de mener à bien différentes opérations préparatoires et autres démarches en vue de sa réalisation. L’accord quadripartite a été en outre renouvelé en mai 2023.

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Le Projet Vishnu s’est fixé trois objectifs principaux :

  • l’étude technologique de la statue au C2RMF, à Paris, de juin à octobre 2024 ;
  • sa conservation-restauration au laboratoire Arc’Antique, à Nantes – laboratoire qui a été sélectionné sur appel d’offre –, de novembre 2024 à mars 2025 ;
  • enfin, sa présentation au grand public dans le cadre d’une exposition au musée Guimet, à Paris, consacrée aux bronzes khmers, d’avril à septembre 2025, puis dans plusieurs musées aux États-Unis, à partir de septembre 2025.

Le projet doit en outre permettre de renforcer les compétences professionnelles des acteurs engagés dans son suivi et sa réalisation, tout en aidant à consolider les liens de collaboration entre les différentes institutions partenaires. Dans ce cadre notamment, une archéologue et deux restaurateurs cambodgiens séjourneront en France, à tour de rôle, pour assurer le suivi du projet et recevoir une formation spécialisée.

 

3) Une exposition exceptionnelle organisée par le musée Guimet à partir d’avril 2025

Une fois restauré, le Vishnu du Mébon occidental rejoindra le musée national des arts asiatiques-Guimet pour une exposition-événement consacrée aux bronzes royaux d’Angkor. 

Angkor, capitale de l’empire khmer qui domina une partie de l’Asie du Sud-Est continentale pendant plus de cinq siècles (9e-14e siècles), a conservé de sa gloire passée des vestiges monumentaux d’une ampleur et d’une beauté incomparables. L’architecture des temples, les statues de pierre qui y étaient abritées, ont maintes fois été célébrées et font partie du Patrimoine de l’Humanité. Qui, pourtant, se souviendra que ces grandioses sanctuaires bouddhiques et brahmaniques, aujourd’hui vides, conservaient jadis toute une population de divinités et d’objets de culte fondus en métal précieux : or, argent, bronze doré. Ils apparaissent furtivement sur certains bas-reliefs de pierre, on en apprend l’existence dans certaines inscriptions sanskrites ou khmères, rédigées çà et là dans les temples.

Cour khmère du musée Guimet
Cour khmère du musée Guimet

C’est à cet alliage précieux – le bronze – dont de beaux exemples ont subsisté, qu’est consacrée l’exposition au musée Guimet. Subtile alchimie mêlant notamment cuivre, étain, plomb, en fusion dans un creuset, ce noble alliage a donné naissance, au Cambodge, à des chefs-d’œuvre de statuaire témoignant de la fidélité des souverains khmers à l’hindouisme comme au bouddhisme. À la faveur de fouilles récentes, conduites au nord du Palais royal d’Angkor Thom par l’EFEO, et des études technologiques du C2RMF, cette exposition se propose de dresser un parcours chronologique de l’art du bronze au Cambodge, du 9e siècle à nos jours, à travers un voyage conduisant le visiteur dans les sites majeurs du Patrimoine khmer.

L’exposition rassemble des prêts exceptionnels du musée national du Cambodge - consentis par le Gouvernement royal dans le cadre spécifique de la coopération qui s’est établie entre le ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge, le musée Guimet, le C2RMF et l’EFEO - auxquelles seront adjointes une soixantaine d’objets provenant du musée Guimet. Elle réunit des chefs-d’œuvre de statuaire, objets d’art et éléments de décor architectural, photographies, moulages et documents graphiques permettant de replacer ces œuvres dans le contexte culturel qui était le leur, comme dans une perspective archéologique et historique.

Placée sous le commissariat de Pierre Baptiste et Thierry Zéphir (conservateurs au musée Guimet), David Bourgarit (C2RMF), Brice Vincent (EFEO) , cette exposition exceptionnelle regroupera, autour du Vishnu restauré, près de 240 œuvres dont 126 provenant du musée national du Cambodge, et une cinquantaine  du musée Guimet.
Elle sera ensuite présentée dans plusieurs villes des
États-Unis.

Information : réduction des activités sur le site de Versailles
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