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Cerf aux abois dans les rochers de Franchard , après restauration (photo T.Clot C2RMF)
Cerf aux abois dans les rochers de Franchard , après restauration © C2RMF Thomas Clot

Restauration des cartons d’Oudry pour la tenture des Chasse royales de Louis XV

La restauration de quatre très grandes toiles décorant l’appartement des chasses au château de Fontainebleau 

Publié le 10/10/2024

L’exposition prévue au château de Fontainebleau à l’automne 2024 pour célébrer la grande tenture des Chasses royales de Louis XV a été l’occasion de restaurer quatre des très grands formats peints par Jean-Baptiste Oudry pour servir de modèles aux tapisseries. Le château de Fontainebleau conserve en effet depuis le XIXe siècle huit des neuf cartons déposés à la Restauration par le musée du Louvre afin d’orner les murs de cette résidence princière, toujours dévolue aux chasses royales ou impériales jusqu'à la fin du Second Empire. En raison de leur format imposant, peu d’interventions avaient eu lieu depuis les restaurations effectuées au XIXe siècle, et leur état de conservation, comme leur état de présentation nécessitaient désormais des restaurations fondamentales tant en support qu’en couche picturale. L’exposition a ainsi permis de traiter la moitié de ces grands cartons, et une seconde campagne est prévue ensuite, afin d’achever la restauration de l’ensemble.

Historique des œuvres

Les neuf toiles ont été peintes par Jean-Baptiste Oudry de 1733 à 1746. Il s’agissait d’une commande royale très prestigieuse pour le peintre, déjà très apprécié pour son talent à peindre la nature et les animaux, et plus particulièrement les scènes de chasse. Il a tenu à se représenter sur une de ses compositions et en a soigné particulièrement la réalisation, malgré l’importance des surfaces à peindre (5 cartons horizontaux de 6 m de long ou plus par 3,40 m de haut, et 4 cartons verticaux de même hauteur). Conservés au Louvre à partir de la Révolution, puis envoyés au château de Fontainebleau en 1828, les tableaux furent utilisés pour la décoration de l’appartement des chasses surtout à l’avènement du roi Louis-Philippe, qui aimait particulièrement ce château. C’est à cette période que furent réalisées aussi la plupart des premières restaurations sur les toiles, longtemps roulées en réserve, qui nécessitaient alors des interventions importantes : rentoilage ou transposition, installation dans des lambris avec d’éventuels changements de format pour remplir l’espace prévu, nettoyage des vernis et retouches des parties endommagées, voire repeints sur les agrandissements réalisés. D’autres opérations furent engagées sous le Second Empire mais, depuis la fin du XIXe siècle, si l’on en croit les archives, seules des mesures limitées de conservation avaient désormais été réalisées sur les toiles (des refixages), et les campagnes de restauration des couches picturales s’étaient souvent bornées à améliorer l’aspect du vernis et des repeints, sans aller jusqu’à une intervention fondamentale, devenue pourtant nécessaire.

Le projet de restauration 

Le projet d’exposition de 2024 était donc l’occasion de lancer enfin une grande campagne de restauration sur cet ensemble exceptionnel, mais qui présentait un état de conservation assez préoccupant. Une première mission fut réalisée par le C2RMF en 2020, couplée à des recherches en archives sur l’historique des restaurations, ainsi qu’une étude par des restaurateurs. Quatre tableaux furent sélectionnés, deux grands formats horizontaux (Cerf aux abois dans les rochers de Franchard et Le Botté du roi) et deux verticaux (Meute de chiens courant au rendez-vous et Louis XV tenant le limier), pour une première tranche de travaux. Ensuite un marché fut lancé, remporté par l’équipe menée par Sophie Deyrolle.
La restauration devait avoir lieu entièrement au C2RMF sur le site de la Petite Écurie du Roi. Suite aux retards dus au confinement, puis aux travaux de rénovation engagés à partir de 2023 au C2RMF, seul un des cartons a pu finalement être traité dans les locaux de Versailles, en 2022 (Meute de chiens courant au rendez-vous). En raison de leurs dimensions, les trois autres grands cartons ont dû être restaurés au château de Fontainebleau, dans des conditions parfois difficiles pour l’équipe des restaurateurs. La restauration y a été suivie par les équipes du C2RMF, avec des missions régulières sur place, la participation aux comités de suivi avec le Département des Peintures du Louvre, et la réalisation d’un suivi photographique pendant toute la durée des opérations, de l’hiver 2022/2023 à l’été 2024.

La restauration des supports

Les quatre tableaux avaient subi des interventions importantes au XIXe siècle : rentoilage pour Meute de chiens courant au rendez-vous et Le Botté du roi, transposition pour Cerf aux abois dans les rochers de Franchard et Louis XV tenant le limier. Ces interventions anciennes assez radicales, couplées à des conditions climatiques peu optimales (pas de contrôle du climat, humidité importante) avaient provoqué de nombreuses altérations au fil du temps : soulèvements, écailles, état général assez chaotique de la couche picturale. La tension était mauvaise, les châssis du XIXe siècle étaient souvent abîmés, et il a fallu les consolider ou parfois les remplacer ; les refixages successifs ne suffisaient plus, il a fallu donc reprendre de manière fondamentale la transposition de Louis XV tenant le limier et le rentoilage de Meute de chiens courant au rendez-vous, opérations qui ont duré plusieurs mois. Le rentoilage du Botté du roi et la transposition de Cerf aux abois dans les rochers de Franchard, moins détériorés, ont pu être simplement consolidés, après démontage et mise en extension, avant d’être remis sur châssis. Après traitement, les tableaux sont désormais en bon état de conservation et ne présentent plus de soulèvements ou d’irrégularités de surface.

La restauration de la couche picturale

Tous les tableaux présentaient un vernis épais et très oxydé, et d’importants repeints, souvent altérés. Les compositions n’étaient souvent plus très lisibles, particulièrement dans les arrière-plans, peints assez légèrement par Oudry et totalement obscurcis par les couches de vernis ; la touche de l’artiste devenait également peu discernable sous les repeints. Le nettoyage a permis d’ôter les différentes couches de vernis altéré, et surtout les diverses couches de repeints accumulés au cours des siècles, souvent débordants par rapport aux lacunes, particulièrement sur les bords. Il a enfin été possible de retrouver la patte d’Oudry, et d’admirer sa belle palette de couleurs, même si les verts des végétations présentaient parfois des chancis, qu’il a fallu atténuer. Les restauratrices ont aussi constaté la présence de très nombreux repentirs, témoignages de la volonté du peintre d’ajuster sans cesse ses compositions, malgré leurs vastes dimensions. Pour la réintégration, les restauratrices ont dû non seulement combler les lacunes nombreuses dans les parties les plus endommagées (les bords en particulier), mais aussi atténuer les usures et composer avec les nombreuses séquelles des erreurs des rentoilages anciens (brûlures) ou des transpositions (craquelures exagérées, écailles déplacées).

Les Chasses royales de Louis XV présentent désormais un aspect beaucoup plus fidèle au talent d’Oudry, et une atmosphère vivante et colorée, en accord avec la volonté du peintre de représenter au mieux les paysages et la végétation.

Les analyses

Un seul tableau a pu être restauré dans les ateliers du C2RMF (Meute de chiens courant au rendez-vous) et a pu donc bénéficier de l’aide du département Recherche ; néanmoins, l’imagerie a permis de mieux identifier les repeints avant nettoyage, et les analyses en spectrométrie de fluorescence X ont confirmé l’emploi par Oudry de ses couleurs habituelles (blanc de plomb, vermillon, terres variées, verts constitués souvent de mélange de bleus et de jaunes, les bleus non détectés confirmant l’emploi important du bleu de Prusse). 

Conclusion

La restauration des tableaux a donc permis d’assurer leur conservation et aussi une meilleure appréciation du travail de l’artiste, une fois les épaisses couches de vernis et de repeints retirées. Même si cette restauration n’a pu en grande partie se dérouler dans les locaux des ateliers du C2RMF, ses équipes ont pu documenter en amont l’histoire des restaurations passées des œuvres, ce qui a aidé à une meilleure compréhension des altérations et ont assuré un suivi constant. Il faut espérer que la seconde tranche prévue pour les quatre derniers tableaux permettra une nouvelle coopération entre le château de Fontainebleau et les équipes du C2RMF, et que des analyses plus importantes pourront alors être réalisées, afin de compléter les informations existantes sur la technique d’Oudry.

En lien

© C2RMF / Pierre-Yves Duval
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© © Musée de la Chasse et de la Nature, Paris, C. Betelu
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